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4 - LE TEMPS DES CONSERVES

Dernière mise à jour : 17 mars 2024

C’était la saison des feuilles qui tombent. Autant mon chat se camouflait dehors parmi les couleurs orangées, autant il détonnait dans la maison. Ses poils roux couvraient mes divans bleu foncé de façon spectaculaire. Il muait autant que les arbres. Désespérée, je faisais la liste des options. Changer les meubles du salon pour des teintes chaudes, ou teindre mon chat en bleu marin ?

 

Je mijotais ces idées loufoques en brassant des chaudrons de sauce tomates. C’était avant tout le temps des conserves. Le jardin devait rentrer presto dans la maison, soit dans des bocaux de verre, soit dans le congélateur. Mes courgettes avaient largement dépassé mes espérances et trônaient entre les feuilles flétries comme d’immenses bats de baseball verts injectés de botox. Les concombres oubliés ressemblaient à des orteils d’alligators. J’avais couvert tous mes producteurs de chlorophylle durant les premiers gels, mais c’était devenu impossible avec le vrai froid à venir. Vite vite vite la dernière récolte !

 

Mon fauve semblait lui-même en mission. Je le voyais souvent disparaitre dans le boisé entre mon terrain et celui des voisins, faisant la guerre aux écureuils. Plus souvent, il chassait simplement dans le fourrage. Sa technique de chasse était magnifiquement passive : il s’assoyait dans le foin de longs moments, devant un tunnel aménagé par un petit rongeur. Son petit bout de langue pendant, il fixait les graminées couchées. Lorsque la bête se pointait hors du trou, sa patte griffue l’attrapait avec une rapidité impressionnante. La stratégie me rappelait les chasses des peuples du Nord : le harpon dans les airs, à attendre qu’un phoque vienne respirer par le trou dans la glace. Arthur était un brave chat, mais il aimait la facilité. Les petits oiseaux le narguaient et il semblait ne vouloir y consacrer aucune énergie.

 

C’était maintenant un matou ayant atteint sa pleine grosseur, tout en chair et en muscles. Un ami le surnommait affectueusement Arturo Gatti. J’ai mis du temps à faire les recherches pour comprendre la référence. Un boxeur italo-canadien ! L’analogie avec mon chat était trop cocasse, d’autant plus que j’avais toujours pensé que l’orthographe du nom était Arthuro Ghetti, en référence à mes sauces à spag aux légumes du jardin.

 

J’imaginai alors les deux héros opposés : Arturo Gatti, champion du monde des poids super-plumes : un dur à cuire ! Vis-à-vis Arthuro Ghetti, champion local des poids petit-poils, une grosse pâte molle ! J’étais morte de rire en trouvant les jeux de mots.

 

Je l’ai moins été en reniflant une odeur suspecte un jour, sous mon lit. Une odeur de mort, justement. J’ai mis du temps à découvrir la mini morgue sous le futon destiné aux visiteurs. En dessous, mon boxeur amateur avait caché pas moins de trois victimes : deux écureuils roux et un tamia rayé. Pendant que j’engrangeais ma récolte de jardin, mon gros chaton ensilait de la viande pour l’hiver ! Il était difficile de le blâmer. De toute façon, devant mes cris, même de joie, il prenait toujours la fuite. L’exubérance vocale l’effrayait au plus haut point.

 

Je l’ai puni en bloquant la chatière pour l’hiver.



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