Arthur et moi sommes devenus presque télépathiques au fil du temps. Mais la communication verbale a aussi évoluée. Arthur a un sens inné de la réplique. Peu enclin à miauler, mon matou est plutôt du type pigeon. Il roucoule constamment, dans un but de conversation avec son humain.
— Salut Chat !
— Prrrrr !
— Veux-tu aller dehors ?
— Prrrrrrrrrr !
— Viens-tu marcher avec moi ?
— Prrr prrr !
Ceux qui pensent que seuls les chiens accompagnent leur maître se foutent une patte dans l’œil. Tous les chats que j’ai possédés sont venus marcher avec moi. Mais, deuxième précision : les chats n’ont pas de propriétaire. Ils ont tendance à penser qu’ils nous possèdent et des mises à jour s’imposent quotidiennement avec les félins. J’aime penser que mon félin et moi sommes des colocs. Et une de nos activités communes, c’est la marche !
Arthur me suit à petits pas dans mes balades à moins d’un kilomètre de la maison. Quand je m’arrête pour l’attendre, il arrive au galop et me dépasse la queue levée comme un drapeau de conquérant. Il voudrait m’entrainer sous la haie de cèdres des voisins et dans les buissons qui bordent la route. Dans sa tête de chat, il pense que ma hauteur est celle d’un schtroumpf, je crois.
Tous les ans, il vient avec moi récolter des têtes de violon le long de la rivière. J’appelle cette activité « notre voyage de chasse annuel ». Un leurre honteux, puisque je ne rapporte aucune viande. Mais mon fauve semble croire chaque fois qu’on traque une proie. Il renifle les plants de fougères, creuse le sol à la recherche d’odeurs, grimpe sur les branches basses des arbres pour voir la scène d’en haut. À la manière d’un lion, il s’étend rapidement sur son perchoir et ferme les yeux à demi, en fouettant l’air de sa queue, tandis que je cueille plus bas comme une ilote.
Lorsqu’on trottine plutôt vers le fleuve, il longe les arbres le long du chemin. J’ai compris depuis longtemps qu’il n’est pas le compagnon idéal pour regarder les couchers de soleil sur la plage. L’odeur de l’iode lui déplait. Surtout, le manque d’abri d’urgence l’angoisse au plus haut point. Et je peux le comprendre. Devant, c’est la boue et l’eau. Derrière, un océan de joncs qui peut cacher n’importe quel prédateur. Aucun arbre où grimper, aucun repli possible. Il m’avertit chaque fois du grand danger par un miaulement grave et terrorisé. Lorsque je reviens enfin sur mes pas, il part en flèche vers la ligne des arbres, sa toison rousse hérissée.
Après le coup de la perdrix (voir 2 — LA POULE DES BOIS), je me suis mise à lui montrer ces volatiles par la fenêtre, en l’encourageant à chasser pour moi. Aucune prise ne m’est parvenue, mais il a vite compris le principe de se faire montrer des animaux par la fenêtre. Ainsi, je lui pointe les renards, les porcs-épics, les chevreuils ou les rares dindons sauvages qui nous visitent. Arthur devient immédiatement obnubilé par la bête. Il la suit des yeux sans trêve et le reste du monde n’existe plus. Je ne suis jamais convaincue s’il la craint ou s’il veut la chasser. Chose certaine, la présence d’un intrus de l’autre côté de la paroi de verre est d’une grande fascination. Nous avons toujours l’œil ouvert, autant lui que moi.
C’est ainsi qu’une autre silhouette de chat est apparue dans le paysage, repéré par mon fauve. On dit toujours vert olive, mais jamais noir olive. Pourtant, le chat qui est arrivé chez nous était exactement de la couleur de ce petit fruit. Un noir luisant avec des reflets bruns ou mauves, malgré le manque d’hygiène de sa fourrure. C’était ses yeux qu’on voyait en premier, couverts de croutes et larmoyants. La ligne de sa colonne vertébrale était saillante et, même si je ne l’ai jamais soulevé, je devinais son poids léger malgré une carrure supérieure à Arthur.
Mon matou m’a demandé la porte et je l’ai accompagné pour gérer la rencontre. Les deux animaux se sont approchés et se sont reniflés aux deux extrémités, l’échine dressée. Grondement du côté d’Olive, réaction neutre pour mon rouquin. J’ai sorti un bol de croquettes sur la galerie, que le chat noir a dévoré en nous jetant des coups d’œil inquiets.
Une routine s’est installée le soir après quelque temps. Aux dernières heures d’ensoleillement de la journée, je sortais m’assoir sur les marches du balcon, Arthur à mes côtés. Olive nous rejoignait et nous croquions chacun nos collations respectives. Le roux terminait la pause à moitié couché sur mes cuisses, ronronnant haut et fort, tandis que celui couleur d’ébène était étendu trois marches plus bas. La fourrure noire luisante au soleil, ses yeux à moitié fermés, il nous envoyait des signaux de bonheur par intermittence, en clignant des paupières lentement, selon ce code morse particulier aux félins.
Je pensais arriver à apprivoiser un deuxième chat et mon espoir était grand. Erreur. Le chat noir est devenu malheur rapidement. Au lieu de s’acclimater et de trouver sa place parmi nous, je l’ai découvert un soir en train de donner des coups de griffes à mon protégé orange. Mon compagnon de tous les instants subissait les coups sans répliquer. Je suis devenue lionne. Je n’avais rien vu.
J’ai hurlé en direction de l’attaquant et je l’ai chassé à grands coups de mouvements de bras. Déjà peureux, Olive s’est enfui sans demander son reste, comme je m’y attendais. C’est Arthur qui m’a étonné et qui m’a confirmé à quel point nous étions une équipe fusionnelle. Mon matou a cessé immédiatement d’être une victime. Devant mes cris et mes mouvements, il s’est fait justicier. Je l’ai regardé, éberluée, courir la queue dressée, le poil dru, vers son ami devenu ennemi. Je lui ai imaginé une cape de héros masqué.
Olive a tenté de revenir, mais nous l’avons tous deux repoussé. Déjà affaibli, il n’a surement pas survécu à l’hiver froid sans logis. Triste, mais les chats errants sont légion.
Les sourires dans les yeux du noiraud nous ont manqué pendant longtemps.
De temps en temps (mais pas trop souvent), je prends mon gros rouquin dans mes bras et je lui pointe une bête imaginaire par la fenêtre en le stimulant faussement :
— Là, là, regarde !
Je m’amuse un peu méchamment de le voir chercher pour rien ce qui attire mon regard. Sa confiance est tellement spectaculaire. Je me confesse : parfois, j’en abuse lors d’irrésistibles occasions risibles…
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