Depuis le début de ces histoires, je donne peut-être l’impression d’être toujours à la maison avec mon chat, presque à la retraite. Pourtant c’est tout le contraire. J’ai travaillé pendant quinze ans dans le Grand Nord, à partir et à revenir plusieurs fois par an. J’ai arrêté à cause de problèmes de dos, mais Arthur fait également partie de l’équation. Une fois que j’ai eu un chat, devoir le reloger à chaque contrat est vite devenu un fardeau, voire une épopée. Je vous en raconte une aujourd’hui.
Mon gros bébé allait se faire garder chez sa mamie, ma génitrice. Depuis que nos deux chats avaient eu les noix coupées, c’était de bons amis. On se rejoignait parfois à l’aéroport, selon l’heure de mes vols, pour échanger le précieux contenu jaune orange à languette rose autogluante (lire 1 - LE DÉFAUT DE FABRICATION).
L’aventure suivante se passe à mon retour d’un contrat, au plus fort des restrictions et des risques pour les personnes âgées durant la difficile période de la COVID :
Mes vols ont eu plusieurs retards, je suis épuisée, irritable, mais il n’est pas envisageable de dormir dans un autre lieu que mon lit, par peur de contamination. Une petite tempête se prépare et j’ai tout juste le temps de faire la route avant son arrivée. Je planifie de filer plus vite que le vent qui la pousse.
Il neige déjà des peaux de lièvres mouillées sur l’aéroport de Québec. Mon dernier vol était presque vide et la place s’est désertée en une demi-heure. J’attends ma mère sur le large trottoir extérieur. La voilà qui arrive avec son beau sourire et une galette de neige sur le toit de sa voiture. Après les salutations, je décide de faire une manœuvre délicate, soit celle de sortir mon chat de la cage pour le transférer d’auto. J’ai tellement hâte de sentir son petit corps poilu dans mes bras !
J’ai un panier dans la voiture, qu’il préfère grandement aux barreaux. Les balades en voiture le dimanche ne sont pas son activité préférée… Quand je l’approche, mon gros matou opte pour la position de défense, qui rappelle le recroquevillement des chenilles lorsqu’elles se sentent en danger. Mais, pas plus mobile qu’une chenille enroulée, il est justement facile à saisir et à porter.
Sa tête sous mon menton, je le sens se détendre. Au même moment, une déneigeuse surgit de nulle part, à une vitesse tout à fait inacceptable compte tenu du passage piéton devant nous. Le gros moteur de l’engin jaune crache un bruit infernal, en plus de la lame de métal qui racle le bitume et des sirènes d’alarme dont le cri résonne sur les grandes baies vitrées. Une mangeuse de chats ! Arthur panique ! Il se dégage de mon emprise en griffant mon manteau. Moi-même surprise, j’ai tout juste le temps d’attraper au vol sa patte arrière. Je m’affale au sol avec ma prise, mais je la sens glisser désespérément le long de ma mitaine tandis que mon chat se débat. Il se libère et fuit du côté opposé aux bruits. Je le vois qui galope vers l’immense vitrine de la section départ. Bong ! Sa tête heurte le verre épais. Repli sur la gauche. Couchée sur le sol, je vois l’animal apeuré s’enfuir dans le noir en filant le long du mur.
Je fais rapidement le bilan de la situation : mon chat est en cavale entre l’entrée d’un énorme édifice et un immense stationnement, près d’une piste d’atterrissage de jets et de boeings. C’est la nuit, il tombe de la mouise, une tempête est imminente. Ma mère me regarde avec des yeux catastrophés.
Je sors alors mon fou rire des grandes occasions. C’est un petit ricanement, mais pas nerveux. Il se veut apaisant. On dirait un mécanisme de défense que mon mental déploie judicieusement dans les cas extrêmes, pour m’empêcher de paniquer ou de hurler. Je cite la foutue phrase, aujourd’hui répudiée par tous : ça va bien aller…
En étouffant des petits rires, je me mets à pister le félin sur quelques mètres. Je vois clairement sa course dans la neige fraiche. La piste s’arrête. Il s’est caché sous les paniers à bagages. Un miracle. L’ensemble des chariots métalliques encastrés les uns dans les autres occupe environ dix mètres carrés. Pas question d’essayer de les déplacer, il aura mille fois le temps de s’enfoncer sous la pile, ou de s’enfuir encore. Je me couche par terre et regarde en dessous avec la lampe de mon téléphone. Des yeux miroitent tout au bout, sous le deuxième chariot. Je rampe tranquillement vers ces deux phares iridescents en leur disant des mots doux, des promesses de bons moments. En approchant ma bête, je l’appelle tout gentiment. Il me fixe brièvement et se retourne, comme s’il me boudait. Sa queue se tend vers moi. Je l’attrape ! Tranquillement, je tire un chat sur la défensive extrême, mais qui prend la position de la chenille enroulée une fois exposé.
OUF !
Lorsque mon précieux compagnon est enfin déposé dans la voiture, je claque la portière et hurle mon soulagement, les deux bras dans les airs. Ma mère fait la même chose, visiblement soulagée. Deux mères chats hystériques, ivres de joie.
Je me demande encore aujourd’hui combien de fois la personne responsable de la sécurité de l’aéroport a fait rejouer le vidéo de ces scènes, en se tapant sur les cuisses.
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