15 - LA CHATTE DES NEIGES
Depuis ce jour où Arthur a sauvé d’un spin fatal la chatoune, les deux animaux vivent bien ensemble. Les batailles amicales ont été nombreuses durant la croissance de la chatte. Ce n’est pas le plus gros, mais la minus elle-même qui en prenait l’initiative. Il semble que son instinct la poussait à tester sa force grandissante. Même si le matou sera toujours d’un poids nettement supérieur, les combats sont devenus de moins en moins inégaux. Une fusée contre un malabar. Les longues soirées d’hiver ont été égayées par ces joutes distrayantes, autant pour eux que pour moi.
Le premier été de la vie de Léontine, je l’ai trainée avec moi au jardin. Elle grimpait sur les grands tuteurs de haricots, puis je la trouvais souvent endormie sous des feuilles de courges. Arthur m’accompagnait, fidèle à lui-même, à chaque étape de mes travaux. Rapportant maintenant ses proies à la juvénile, il est devenu son mentor et surtout son gardien.
En octobre, la première neige fondante a beaucoup déplu aux deux animaux. Juste en reniflant l’odeur extérieure, le vieux s’est réfugié à l’intérieur. Plus curieuse, la jeune s’est trempé les pattes, mais, rapidement dégoutée, elle a clopiné illico vers un coin sec du balcon, comme un boiteux piqué par une guêpe.
C’est avec les vraies bordées que le plaisir a débuté pour elle. Jamais je n’avais vu de féline aussi heureuse de s’ébrouer dans les flocons. Léo y voyait un divertissement qui n’avait de limite que le gel de ses coussinets. Arthur surveillait la scène du balcon, en se gardant les membres au chaud.
À l’instar des renards qu’on observe parfois tous les trois chasser dans le champ enneigé, la petite chatte des neiges a adapté sa technique de chasse à la matière blanche. Tels ces finauds à l’ouïe fine, elle s’est mise à écouter le passage des rongeurs sous la croute. Sa tactique de plongeon ne visait pas l’attaque verticale, mais plutôt horizontale, pattes tendues, griffes dehors, comme un chasse-neige. Succès étonnant ! Du haut du balcon, Arthur et moi avons souvent été témoins des remontées spectaculaires de sa tête couverte de blanc, un mulot entre les dents.
De plus en plus indépendante, la jeune chatte s’est mise à demander la porte tous les soirs. Mais tous les soirs, en hiver, c’est aussi le passage des coyotes, des renards, des pékans, des grands ducs. De tous les loups-garous, quoi. Une routine rassurante s’est installée. Le gros sortait et la petite suivait, en imitant son rituel pour sonder la noirceur :
Reniflage de l’air du soir du haut du seuil de la porte ;
Écoute des sons de la nuit assis devant les escaliers ;
Descente en restant aux aguets, l’œil ouvert, marche par marche ;
Regard à gauche et à droite, comme si on traversait un grand boulevard.
Lorsque je les appelais avant d’aller au lit, le roux apparaissait en moins de deux. La petite délinquante requérait plus d’efforts.
—LÉÉÉÉÉÉÉÉOOOOOOO ! LÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉOOOOO ! LÉONTI-NE !
Arthur, le gardien, le dévoué, repartait dans le noir et me ramenait sa fiancée chaque fois. Je n’ai jamais compris comment il arrivait à la convaincre de rentrer. J’ai souvent eu l’impression que mes deux chats avaient des conversations muettes.
Même si Léontine apprend la prudence sur le terrain, l’autre jour elle m’a refait le coup de s’endormir dans mon linge sale qui attendait dans la machine. Je vérifie chaque fois maintenant. Je l’ai laissée dedans et j’ai fermé la porte, pour voir sa réaction. Ses pupilles se sont dilatées de peur. Cruelle et efficace leçon ! On dirait la première chatte de l’espace.
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