
Avec les deux poilus, les surfaces pour s’assoir sont devenues des éléments du jeu de chaise musicale. Arthur aime se coucher sur celles qui portent mon odeur. Léontine aime se coucher sur celles qui sentent Arthur. De mon côté, je cherche surtout les rares endroits sans poil de chat.
Le gros aime depuis toujours les paniers. Un classique chez les félins. Celui de la salle de bain est son refuge et le plus garni en odeur. Son parfum laissé dans le textile donna lieu à l’histoire qui suit.

Ce soir-là, je prépare une brassée de linge sale que je place dans la laveuse en laissant la porte ouverte. En sortant du bain, j’y lance ma serviette mouillée et je mets la machine en marche. Mon beau roux est dehors, mais c’est la fin de l’été. Il rentrera par la trappe selon ses humeurs et la météo. Je cherche le bébé chat avant d’aller au lit. Il me semble qu’elle jouait avec le rideau de la salle de bain, pendant que je trempais à côté. Ses cachettes ne me sont pas toutes connues. Elle a le don pour s’enfouir sous les coussins et disparaitre. À 9 semaines, elle est encore minuscule. J’appelle et je la cherche dans toute la maison.
J’allais me résoudre à aller dormir sans elle lorsque j’entends Arthur qui ne miaule pas, mais qui mugit devant la porte d’entrée. La panique dans son ton de voix est inédite. Je lui ouvre rapidement et au même moment, je perçois un petit miaulement mouillé venant de la salle de bain, à droite. En un éclair, je comprends l’urgence.
Mes doigts cherchent le bouton d’arrêt de la laveuse avec fébrilité.
Hold 3 seconds to stop. Traduction : appuyer pendant 3 éternités avant l’arrêt.
Tididilouuuuu ! La petite musique m’a toujours énervée, mais ce soir, c’est ultime.
La machine indique 53 minutes sur un cycle de 59 : elle tourne depuis 6 minutes.
JE PEUX ENFIN OUVRIR LA PORTE.

À l’intérieur, tel un personnage du film La guerre des étoiles, la fragile silhouette me rappelle Yoda. Des oreilles immenses qui encadrent un menu visage. Les yeux trop grands pour la petite face clignent pour chasser le liquide. Je prends délicatement le chat rétréci par l’eau, totalement sous le choc. Elle dégouline sur le plancher.
En la posant sur le comptoir, je constate qu’elle vacille et tremblote gravement. Quel est son état réel ? Côtes cassées, commotion cérébrale, hémorragie interne ? À défaut de la placer dans la sécheuse (!), je réchauffe des serviettes pour l’enrober de chaleur.
Pendant deux longues heures, je la garde sur moi, en alternant les serviettes. Je n’ose surtout pas la frotter. Je lui fais boire du lait tiède pour neutraliser le savon qu’elle a pu ingérer. Les tremblements semblent ne jamais vouloir s’arrêter. J’ai l’impression qu’elle ne passera pas la nuit. On tremble à l’unisson, moi par en dedans, elle par dehors.
Arthur, le héros de l’histoire, le lanceur d’alerte et le sauveur, s’est couché sur le dossier du divan. L’avant du corps sur mon épaule, il fixe le corps emmailloté dans mes bras, semblant aussi inquiet que moi de la survie de notre chatte. Il garde la pose jusqu’au dénouement, comme pour nous accompagner.
Il est passé minuit et le chaton, maintenant sec, grelotte encore. Toujours enrobée de son linge chaud, Léontine bascule soudainement d’un état à un autre. Les frissons venant du tissu cessent et me sortent de ma torpeur. Est-ce la fin ? Les vibrations reprennent, mais différemment. Elle ronronne ! Mon soupir est sonore. J’ai l’impression d’entendre Arthur en pousser un aussi.

Après cet incident, les deux chats sont devenus amis. Peut-être que le lavage a réinitialisé les odeurs de la chatte. Peut-être qu’Arthur (si je veux lui prêter des émotions humaines) a eu peur de perdre la petite nouvelle. Possiblement aussi que son état vulnérable a enlevé toute trace de menace pour l’autre félin. Peu importe, à mon grand bonheur, je me suis mise à les découvrir endormis ensemble.

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