Ils sont arrivés chez ma mère un beau matin d’été. Deux chats de grange affamés et maigrichons. Magnifique instinct de nos félins domestiques que cette faculté inexpliquée à se pointer chez les bonnes personnes, chez les cœurs sensibles, chez ceux pour qui leurs yeux implorants feront de l’effet. Manipulateurs les chats ? Hoooo non, juste futés ! Instinctifs, je vous dis.
C’est ainsi qu’ils ont squatté le garage durant toute la saison chaude, en offrant un service de contrôle des rongeurs en échange du gite et du couvert. Ils ont grossi, gavés de mulots, de moulée et d’affection. Quand le froid s’est emparé de nos latitudes, on a essayé de les rentrer dans la maison. Mais l’espace restreint ne convenait pas aux deux mâles territoriaux. Le petit gris, âgé, sans cordes vocales et au ronron semblable à un bébé dinosaure a gagné le concours de séduction devant le gros roux juvénile, plus facile à faire adopter ailleurs. Après deux tentatives ratées pour l’envoyer dans un refuge, ma mère était désespérée. J’ai dit ce qu’il ne fallait pas dire :
— Veux-tu que je le prenne pour l’hiver, le rouquin ? Je pense rester à la maison jusqu’au printemps.
Un soupir de soulagement s’est fait entendre au bout du fil.
Quand j’ai vu sa drôle de face de chat au fond de la cage, on ne peut pas dire que ce fut le coup de foudre.
— Sa langue est sortie et elle ne rentre plus. Peut-être qu’il s’est cogné le museau durant le transport ?
— Ben non, il est toujours comme ça. C’est pour ça que je lui ai donné le nom de ton arrière-grand-père, il avait le même défaut de fabrication !
Arthur-la-langue-sortie ! Il aura fallu qu'un chat m'annonce ce trait siamois à mon aïeul.
J’ai tenté dans les premiers temps de lui apprendre à rentrer son petit torchon rose. Je me disais que sa langue devait devenir sèche et inconfortable, à force de pendre à l’air. Mais, s’il acceptait aisément d’actionner le mécanisme de retrait vers l’intérieur, on aurait dit que le ressort était cassé. Le morceau ressortait immédiatement, souvent plus long que jamais, sous le bouquet de vibrisses. J’ai abandonné !
Arthur s’est avéré être un chat très observateur, lent de réaction, mais extrêmement brillant. Malgré son expression un peu débile et ses yeux inexpressifs, j’ai découvert une intelligence fascinante chez ce gros roux. Et c’est plus qu’une amitié qui s’est installée.
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